J’avais l’habitude de dire « oui », mais je dirais maintenant plus volontiers que, dans plusieurs cas, elle n’existe pas.
Je ne suis pas encore prêt à déclarer que la paresse n’existe pas. Par contre, une argumentation peut être déployée pour affirmer que le mot est parfois utilisé dans des cas où il n’y a, en fait, pas de paresse. De plus, la paresse est un mot que je suis plus incliné à utiliser à l’encontre de moi-même, plutôt qu’à l’encontre des autres. Je vais expliquer pourquoi il en est ainsi dans cet article.
Qu’est-ce que la paresse? Je ne rapporterai pas ici ce que les philosophes ont dit sur le sujet, mais je vais offrir ma propre conception. La paresse se produit quand quelqu’un donne un but, et que quelqu’un échoue à atteindre ce but. Les deux quelqu’un dans la phrase précédente peuvent être la même personne, ou différentes personnes. L’un des problèmes avec la paresse est que ce mot dénote un jugement de valeur. Nous pourrions seulement dire que quelqu’un a échoué à atteindre un but, et arrêter là. Par contre, c’est aller plus loin de suggérer que la personne qui a échoué à atteindre ce but est paresseuse. Cette personne n’a pas seulement échoué, elle a échoué parce qu’elle n’a pas fait ce qu’elle aurait dû faire, ou parce qu’elle a fait quelque chose qu’elle n’aurait pas dû faire. Faire ou ne pas faire est un choix délibéré. En conséquence, la paresse est délibérée.
Prenons l’exemple de mon épisode de dépression que j’ai eu durant l’été 2022. J’étais tellement déprimé que même me lever le cul du divan pour aller à la toilette était une épreuve. Étais-je paresseux? Non. Mon échec à me lever du divan n’était pas délibéré. Mon médicament anti-reflux causait un déséquilibre chimique dans mon cerveau qui me rendait déprimé. C’est pourquoi je ne pouvais pas aller à la toilette sans faire un effort considérable. Je voulais y aller comme je l’avais fait toute ma vie, mais durant cette période ceci n’était pas possible. Quand j’ai arrêté de prendre le médicament, le déséquilibre est parti, et je suis retourné à mon humeur habituelle.
Similairement, il y a des gens qui, malgré leur désir d’atteindre un but — travailler, aller à l’épicerie, sortir de la maison — ne peuvent pas atteindre ce but, non pas parce qu’ils ne veulent pas délibérément atteindre ce but, mais parce qu’ils ne le peuvent pas. Est-ce de la paresse? Je dirais que non. Pendant mon cancer, je ne pouvais pas faire la plupart de ces choses. Je n’étais pas paresseux. Je n’avais seulement pas l’énergie pour les faire, ou je devais protéger ma santé. Mon cancer s’est produit au plus haut de la pandémie, et j’étais à risque de contracter la COVID-19 des autres gens. La COVID-19 et le cancer ne vont pas bien ensemble.
Les gens qui m’auraient appelé paresseux dans les exemples ci-haut auraient été des observateurs. Je n’aurais pas appliqué cette étiquette à moi-même. Ces observateurs n’auraient rien su de ce qui se passait dans mon corps et mon esprit. Peut-être même que certains d’entre eux ne m’auraient pas cru quand je déclarais souffrir d’une dépression, ou d’une fatigue. Ceci est souvent ce qui arrive avec l’étiquette paresseux. C’est une étiquette que quelqu’un applique à quelqu’un d’autre. Étant donné le jugement de valeur impliqué par ce terme, cet observateur juge quelqu’un d’autre, et attribue à une intention ce qui est dû aux circonstances. Souffrir un échec peut être une déclaration de fait, mais être paresseux est un péché.
« Les pauvres sont pauvres parce qu’ils veulent être pauvres. »
« Si cette personne voulait un emploi, elle en aurait un. »
« Les sans-abris sont sans-abris parce qu’ils ne veulent pas respecter les règles du jeu. »
Derrière chacune de ces affirmations est la notion que les gens dont nous parlons sont tous simplement paresseux. Ils sont paresseux parce qu’ils sabotent délibérément leur propre vie. Dans l’esprit des gens qui croient ceci, la cause du malheur de ces gens ne peut certainement pas être circonstanciel. Ces pauvres types sont à l’opposé de l’individu qui ne doit rien à personne (self-made). L’individu qui ne doit rien à personne ne dépend pas des circonstances pour son succès. D’une manière similaire, ces pauvres types sont ne doivent rien à personne, mais dans une direction opposée. Ce ne sont pas les circonstances qui les ont affligés, mais leurs propres intentions.
Néanmoins, je ne suis pas prêt à dire que la paresse n’est jamais possible. J’hésite à l’utiliser pour étiqueter les autres, mais je peux l’appliquer à moi-même, dans certaines circonstances. Par exemple, pendant mon baccalauréat, j’ai passé mon temps à faire ce que je voulais plutôt que ce que mes instructeurs voulaient. Dans certain cas, ceci avait pour conséquence que mes notes étaient plus basses qu’elles auraient pu être. Si j’avais fait preuve de plus d’acharnement et avais passé mon temps à étudier plutôt que de m’amuser, j’aurais fait mieux. Ceci fut mon choix. J’ai été paresseux.
Cet exemple pendant mon baccalauréat amène à l’esprit un autre aspect de ma paresse. Ma définition ci-haut n’est pas complète, parce qu’il est fort possible d’être paresseux, et néanmoins réussir à atteindre un but quelconque. Dans certain cours, je ne faisais pas mes devoirs, mais j’étais quand même capable d’obtenir des bonnes notes. Peut-être diriez-vous que les devoirs n’étaient pas nécessaires. Néanmoins, je ne savais pas ceci d’avance. J’ai joué à la roulette, et j’ai gagné, mais ce ne fut que la chance. Dans ce cas aussi, j’étais paresseux, parce que c’était moi choix de ne pas faire mes devoirs. Ici, par contre, je suis dans la situation privilégiée de savoir exactement comment mes processus mentaux se déroulaient.
En plus, c’est probablement le cas que quand nous sommes très intimes avec quelqu’un d’autre, nous pouvons savoir quand cette personne est paresseuse. Prenons le cas d’un parent et d’un enfant. Le parent pourrait avoir une idée à savoir si l’enfant est affairé dans ses études, ou bien si l’enfant ne fait que batifoler. Je serais néanmoins réticent, si j’étais le parent, à étiqueter l’enfant comme paresseux, même si j’étais justifié. La même chose peut se produire entre des partenaires romantiques, mais je serais toujours réticent à utiliser cette étiquette. Je ne crois pas que cette étiquette soit utile si ce que vous voulez faire est de motiver la personne étiquetée ainsi à faire de son mieux.
Je vois donc toujours une place pour cette étiquette, mais principalement comme une étiquette que l’on applique sur soi-même, dans des circonstances spécifiques. Je ne l’utiliserais pas pour quelqu’un d’autre. Dans un cas où je voudrais parler d’autres personnes, j’ai de la difficulté à trouver une situation dans laquelle cette étiquette serait meilleure pour exprimer ce qui s’est passé que l’utilisation de termes qui ne suggère pas un jugement de valeur.
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