Mon état de santé n’est pas un échec moral

Il est très difficile d’abandonner la notion que mon état de santé est un échec moral quand la société continue de bêler qu’il l’est.

Attachez votre chapeau. Cet article va être un peu long. Je vais souligner certaines des façons avec lesquelles les docteurs et le public s’accrochent à un modèle périmé de nos processus somatiques et mentaux. Le modèle en question est celui-ci:

Les processus somatiques et mentaux opèrent chez des gens différents essentiellement de la même manière.

S’accrocher à cette idée périmée a plusieurs conséquences. Les docteurs vont avoir tendance à sortir leur Gros livre médical pour y chercher vos symptômes, et formuler un diagnostic. Le public — et les docteurs aussi, parce qu’ils font partie de ce public — va en plus inférer une connaissance de votre esprit d’après de qu’ils peuvent observer à votre propos. L’une de ces inférences populaires est que vos conditions sont un échec moral.

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Notez bien que je ne soulève pas la question dans cet article-ci à savoir si quelque chose de particulier est un échec moral ou non. Il y a certainement des cas où quelqu’un pourrait légitimement déclarer que quelque chose que quelqu’un d’autre considère un échec moral n’est pas, en fait, un échec moral. Peut-être n’y a-t-il aucun échec moral. Dans le reste de mon article, je vais accepter d’emblée la vue du public que l’échec moral est possible.

Je suis une licorne médicale, dans le sens que je suis une créature rare dans le monde de la médecine. Je réalise maintenant que mes états de santé ne constituent pas un échec moral. Ça m’a pris un certain travail pour arriver là. Quand la société s’acharne à vous dire que vous échouez moralement, vous pouvez très bien commencer à le croire. Je dois préciser que j’utilise ici le terme “état de santé” pour parler de choses qui sont des maladies, comme mon hypercholestérolémie familiale, mais aussi the choses qui ne sont pas intrinsèquement des maladies, comme mon autisme.

La divergence somatique

Commençons avec ma crise cardiaque. Je l’ai à l’age de 24 ans. J’en connais la cause. C’est mon hypercholestérolémie familiale. Mon code génétique est bousillé. En fait, mon code génétique est plus bousillé que la moyenne des gens avec cette mutation. Comment le sais-je? Plusieurs personnes du côté de mon père sont affectées par cette mutation. Par contre, je suis le seul dans ma famille qui a eu une crise cardiaque. Je sais aussi après avoir discuté avec mon père qu’il n’a pas besoin de prendre autant de médicaments pour traiter son hypercholestérolémie, parce que son cas est moins mauvais que le mien.

Une licorne, je vous dis!

Assez vite après ma crise cardiaque, il y a des travailleurs de la santé — je ne me rappelle plus s’ils étaient docteurs ou infirmiers — qui me demandaient à bout portant:

Une crise cardiaque a 24 ans? Vous étiez sur la drogue, ou quoi?

De la drogue? Rien qui aurait pu causer une crise cardiaque. Je n’étais pas encore sobre, ou bien, j’étais devenu sobre récemment. Donc, oui, je me saoulais d’aplomb des fois, mais ceci n’a pas été la cause de ma crise cardiaque. J’ai fumé quand j’étais jeune adolescent, pendant peut-être deux ans. Ceci n’est définitivement pas la cause d’une crise cardiaque après plusieurs années. J’ai utilisé la marijuana, mais, encore une fois, ceci n’est pas la cause de ma crise cardiaque. Je n’ai pas utilisé les drogues qui sont normalement associées avec les crises cardiaques. Ceci n’est pas seulement une inférence de ma part. Les docteurs qui ont examiné mon cas à fond sont complètement d’accord avec moi.

Notez que je ne crois pas que ce soit une bonne idée de faire de la dépendance un échec moral, mais notre société la catégorise ainsi. Si vous êtes dépendant, c’est votre maudite faute. Les gens aiment pouvoir soulever des raisons pour lesquelles quelque chose de néfaste arrive à quelqu’un d’autre. Peut-être examinent-ils leur propre vie, notent qu’ils ne font pas la chose qui a causé la mauvaise fortune d’un autre, et ils poussent un soupir de soulagement. Néanmoins, comme j’ai dit ci-haut, j’accepte d’emblée la vue du public.

Donc j’étais bien parti quand les gens attribuaient à la dépendance la cause de ma crise cardiaque. J’étais néanmoins capable de les corriger assez vite. Par contre, dans les années qui suivirent, les docteurs continuaient d’insister sur le fait que l’échec moral était la source de mes problèmes avec le cholestérol. Bien sûr que j’avais l’hypercholestérolémie familiale, mais si je faisais un peu plus d’exercice, ou que je m’occupais de ma diète un peu plus, alors mon cholestérol redeviendrait normal. Ces docteurs pouvaient même me parler de tous ceux qui avaient fait exactement ça, et pour qui le cholestérol était redevenu normal. Si je n’obtenais pas les mêmes résultats, c’était parce que j’étais paresseux, ou que je trichais, ou quelque autre chose que je ne révélais pas.

Devinez ma diète? Je suis végétarien. Je fais aussi attention au cholestérol dans ma diète. Mais les avis sur ma diète continuaient d’être exprimés. La situation était tellement ridicule que j’ai déjà blagué qu’avec tous les avis que je recevais sur ma diète, il me faudrait seulement être au pain et à l’eau. En plus, auparavant, je faisais de l’exercice deux bonnes heures par jour. Je faisais de l’exercice cardio et je levais des poids. Cela n’a eu aucun effet. Mon cholestérol est resté haut. Mon poids n’a pas été réduit de façon significative. D’après moi, je n’échouais pas à prendre soin de moi. Par contre, dans les yeux de mes docteurs, et dans les yeux de la société générale, j’échouais. Il y avait donc toujours un doute. Peut-être les docteurs et la société avaient raison, et je me trompais quand je croyais avoir fait tout ce que je pouvais faire.

Peut-être que mon échec à contrôler mon cholestérol était, en fait, un échec moral.

Finalement, un miracle est arrivé. Les manufacturiers de médicaments ont créé une nouvelle classe de médicaments, les inhibiteurs de PCSK9. Ces médicaments sont faits pour les gens qui ont mon erreur génétique, et ils l’annulent. Merveilleux! J’ai ajouté un inhibiteur de PCSK9 à mon atorvastatin et mon zetia, et ceci a ramené mon cholestérol dans la plage normale. Qu’est-ce que ceci peut nous dire à propos des docteurs qui continuent de mettre l’accent sur la diète et l’exercice? Je vais vous dire ce que ça veut dire.

Ces docteurs sont des enfoirés.

J’ai une erreur génétique, mais eux, ils passaient leur temps à vouloir changer mon comportement, quand mon comportement était déjà presque parfait. Ça veut aussi dire que mes doutes à savoir que peut-être il y aurait quelque chose de plus que j’aurais dû faire étaient erronés. Il n’y avait pas d’échec moral de ma part.

J’ai utilisé beaucoup d’espace pour parler de ma crise cardiaque dans cet article, mais je crois que ça en valait la peine. Somatiquement, certains d’entre nous ne se retrouvent pas dans Le gros livre médical. Nos corps ne fonctionnent pas de la même manière que la majorité de la population. Quand les docteurs rencontrent notre état de santé, ils ne savent pas quoi faire. Quand le public rencontre notre état de santé, il l’attribue à un échec moral.

Neuroatypie

Je suis une licorne d’une autre façon. Durant l’été 2022, je suis soudainement entré dans une dépression profonde. J’étais tellement déprimé que même me lever du divan pour aller à la chambre de bain était difficile. Je ne me suis jamais senti tel auparavant, et je ne me suis jamais senti tel depuis ce temps. Ma situation était très inquiétante. J’ai été cherché de l’aide de mes docteurs, mais, comme d’habitude, ils ont sorti leur Gros livre médical et ils n’ont rien trouvé qui puisse expliquer ma situation.

J’ai commencé à examiner les effets secondaires que les médicaments que je prenais à ce moment-là auraient pu avoir sur moi. Au bout du compte, j’ai trouvé un médicament qui avait comme effet secondaire très rare la dépression. J’avais pris ce médicament pendant plus d’un an sans problème. Pourquoi commencerait-il à causer des problèmes maintenant? Comme c’était ma seule piste, j’ai décidé d’arrêter de prendre ce médicament. C’était un médicament anti-reflux. Malheureusement, j’ai eu une résurgence de mon reflux, mais je l’ai quand même endurée. Après quelques jours, mon humeur était redevenue normale.

Je suis absolument sûr que si quelqu’un m’aurait observé de l’extérieur, il m’aurait traité de paresseux. Comment se puisse-t-il que j’étais auparavant capable de tout faire, mais que soudainement, je ne le peux plus? Étant donné que même les docteurs n’arrivaient pas à résoudre mon problème, le public aurait dû supposer que mon problème, c’était la paresse, tout simplement. Mon vrai problème était un déséquilibre chimique dans ma tête, mais personne ne le savait, même pas moi. J’ai découvert que ceci était le vrai problème seulement après avoir arrêté de prendre mon médicament.

Nous pouvons aussi ajouter mes problèmes d’insomnie dans le même groupe de problèmes mentaux. Je vous rappelle que j’ai utilisé quasiment tous les somnifères sur le marché. Ils ne m’ont pas aidé, ou bien, ils ont aidé seulement pour un petit bout. J’avais deux spécialistes du sommeil qui s’occupaient de moi, une neurologue et une psychologue. Elles m’ont fait faire toutes les choses que les docteurs recommandent aux neurotypiques. Ça n’a pas marché pour moi. Finalement, je les ai mises toutes deux à la porte.

Encore une fois, le public ici aussi mettrait au compte de l’échec moral, ce qui est probablement une particularité de mon cerveau. S’il n’y avait rien qui a fonctionné, c’était parce que je ne faisais pas le travail requis, ou parce que j’étais paresseux, ou il y avait une autre cause quelconque que je cachais à mes spécialistes du sommeil. Ce n’était certainement pas parce que je suis une licorne médicale.

Il y a en plus quelque chose de similaire qui se passe à propos de l’autisme. Nos caractéristiques ne sont pas simplement différentes, elles sont un échec moral. Si vous ne regardez pas les gens dans les yeux, alors vous cachez quelque chose. Si vous ne voulez pas sortir, à cause d’une sensibilité au bruit, vous êtes tout simplement un gros bébé. Si vous ne percevez pas les regards fâchés de votre femme, c’est parce que vous les ignorez délibérément. La cause ne peut pas être que vous êtes tous simplement neuroatypique.

Mentalement aussi, je ne suis pas constitué de la même façon que les autres gens le sont. Les docteurs ignorent cet état de fait, de même que le public.

Le modèle périmé

Je vous répète ma formulation de ce modèle:

Les processus somatiques et mentaux opèrent chez des gens différents essentiellement de la même manière.

Que non! Il y a un sous-ensemble de la population pour laquelle ceci est complètement faux. Je ne connais pas la grosseur de cet ensemble. Par contre, il existe définitivement. Le système de santé aux ÉU m’a laissé tombé de plusieurs manières, mais l’une de ces manières a été d’insister sur le fait que je suis un cas typique. Je ne suis absolument pas un cas typique. J’ai démontré ci-haut que je ne suis pas un cas typique somatiquement ou mentalement.

En plus, un autre problème ici est que le public, qui s’attache à ce modèle, projette ces propres processus mentaux sur moi, ou sur d’autres personnes avec des états de santé comme le mien. Si leur haut taux de cholestérol peut se réduire facilement avec la diète ou l’exercice — et pour beaucoup de monde, c’est le cas — alors quand quelqu’un d’autre a un haut taux de cholestérol, le problème doit être que cette personne n’a pas suivit sa diète ou son programme d’exercice de façon adéquate. C’est un échec moral. Si cette personne avait seulement trouvé la force de suivre son programme, alors le problème serait résolu.

De façon similaire, ils projettent leurs propres processus mentaux sur les gens qui ont des problèmes de santé mentale. Si quelqu’un souffre de dépression à cause d’un déséquilibre chimique, ils attribuent cette dépression à une décision délibérée de la part de cette personne. Si quelqu’un est incapable de voir les regards fâchés, ils attribuent ceci à une décision délibérée d’ignorer ces regards. Peut-être est-il vrai que quand ces personnes neurotypiques ignorent le regard furieux de quelqu’un, c’est une décision délibérée de leur part. Il n’en découle pas, par contre, que c’est une décision délibérée de ma part. Comme la personne qui est daltonienne, je suis constitutionnellement incapable de répondre aux regards furieux, car je suis autiste.

Conclusion: pas d’échec moral!

Toutes ces manifestations d’états de santé que les gens attribuent à un échec moral ne sont pas en fait causées par un échec moral. Elles sont causées du fait que nous nous comportons pas tous de la même manière, somatiquement ou mentalement. Mentalement, je suis circuité différemment de la majorité neurotypique. Somatiquement, je suis aussi différent de la majorité.

Les docteurs, et le public, devraient tous deux reconnaitre cette diversité, et arrêter d’attribuer à un échec moral, les problèmes qui nous affligent. Insister autrement ne fera rien de bon pour notre santé mentale.

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